Entretien avec Elizabeth, kinésithérapeute

Comment êtes-vous devenue kinésithérapeute ?

J’ai toujours été attirée par les professions de santé. J’ai moi-même eu quelques soucis avec un genou quand j’étais plus jeune, ce qui m’a amenée à consulter des kinésithérapeutes. Pour devenir kiné dans le secteur de Nancy, il y avait à l’époque 50 places pour 1 500 candidats. J’avais 17 ans quand j’ai passé le concours, et je l’ai réussi. J’ai exercé de 1983 jusqu’à il y a deux mois, où j’ai cessé mon activité pour devenir jeune retraitée.

Pouvez-vous nous raconter votre carrière ?

J’ai commencé comme assistante collaboratrice dans un cabinet en 1983, puis j’ai ouvert mon propre cabinet dès 1984. Je me suis d’abord installée seule, puis l’activité a pris de l’ampleur. J’ai été rejointe par des assistants collaborateurs, un associé, et ma secrétaire, qui a été mon bras droit pendant 27 ans.

J’ai travaillé au minimum 12 heures par jour, 6 jours par semaine, pendant 42 ans. J’arrivais au cabinet vers 6h30 le matin et repartais vers 20h30, avec une pause déjeuner de 30 à 45 minutes maximum.

Je faisais aussi des visites à domicile trois fois par semaine : le mardi après-midi, le jeudi matin, et le samedi à partir de la fin de matinée. Parfois davantage, lorsqu’il fallait remplacer un confrère ou une consœur au pied levé.

Si on m’avait dit, il y a dix ans, que j’aurais autant de patients sur mes dernières années de pratique, je ne l’aurais pas cru. Le nombre est monté jusqu’à environ 200 patients par semaine, tout en continuant les visites à domicile. Il s’agissait souvent de patients âgés ou atteints de pathologies neurologiques lourdes, comme la maladie de Parkinson, et qui ne pouvaient plus se déplacer.

À quelques années de la retraite, une maison de santé s’est installée à un kilomètre de mon cabinet. Je pensais que cela allait désengorger mon activité, mais cela n’a pas été le cas. J’ai donc décidé d’arrêter, pour pouvoir me reposer. Une chose est sûre : j’ai adoré mon métier !

Comment expliquez-vous cette forte demande ?

Je dirais que c’est multi-factoriel…Je suis dans un département, les Vosges, où la densité de professionnels de santé n’est pas très élevée. Il y a un manque dans certaines zones. En parallèle, la population vieillit, et la demande de soins augmente.

Mon cabinet a aussi bénéficié d’un excellent bouche-à-oreille. Je passais au minimum 20 minutes avec chaque patient en individuel, ce qui n’était pas toujours le cas ailleurs. Résultat : les gens viennent, les médecins envoient leurs patients…

Un patient qui doit faire du renforcement musculaire peut travailler seul pendant que le praticien peut s’occuper d’un autre patient en parallèle. Mais pour certaines pathologies l’acte doit vraiment être individualisé. Je pense essentiellement à la neurologie et à tous les patients qui viennent pour une infection, ou une pathologie lourde.

À quelles mutations de la profession avez-vous assisté ?

La profession s’est beaucoup féminisée. Il y a 40 ans, c’était très masculin. Désormais elle est majoritairement féminine. Aujourd’hui, ce sont encore principalement les femmes qui s’occupent des enfants dans le foyer et forcément cela a un impact sur la charge de travail possible.

La jeune génération, et on peut la comprendre, refuse parfois de faire des visites à domicile ou certains soins, car ces actes sont très mal rémunérés par l’Assurance Maladie. On parle de visites à domicile à 2 euros… Si vous tendez 2 euros à un électricien, je doute qu’il revienne une seconde fois chez vous ! (rires). C’est aussi particulièrement stressant. Sur les dernières années, faire le tour de mes patients c’était presque avec le chronomètre en main, en me disant “si tu as choisi de prendre dix minutes avec une patiente parce qu’elle n’avait pas le moral, il va falloir essayer de récupérer ces dix minutes ailleurs”.

Et puis il y a aussi l’arrivée des nouvelles technologies dont la réalité virtuelle qui nous aide beaucoup. Je pense que ça va prendre de l’ampleur. On l’aborde de façon plus systématique dans les écoles de kinés et je suis convaincue de son intérêt pour nos patients.  J’ai moi-même formé les stagiaires et collaborateurs à la VR. Ils sont toujours très intéressés, d’autant que c’est aussi un vrai plus dans leur apprentissage.

Comment avez-vous intégré la solution de réalité virtuelle de H’ability à votre pratique ?

C’est au fil de mes lectures que j’ai découvert que la réalité virtuelle pouvait être mise au service des kinésithérapeutes et de la rééducation en général. Je suis abonnée à Kiné Actualité, je lis Kiné Scientifique, je participe à quelques congrès ou assemblées… Cela m’a permis d’apprendre beaucoup, et d’être un peu une pionnière locale dans le domaine.

Ce qui m’a motivé ensuite à investir dans cet équipement, ce sont mes patients.

Puisqu’on parlait des visites à domicile : quand vous rendez visite à des patients trop âgés ou atteints de pathologies lourdes, vous êtes coincé dans une structure qui n’est pas la vôtre, dans un environnement très restreint. Cela fait qu’on arrive vite à des exercices un peu répétitifs et monotones. La réalité virtuelle m’a permis d’amener autre chose. C’est pour moi un excellent outil complémentaire.

Comment réagissent les patients face à la solution ?

Alors j’ai eu toutes les réactions possibles et imaginables. Certains disaient tout de suite : “Ah bon ? Super, génial !” D’autres étaient plus réticents. Je pense à un patient, atteint de la maladie de Charcot, qui ne voulait pas du tout essayer le casque. Avec l’aide de sa fille, on a réussi à lui proposer un essai. Par la suite, quand je n’avais pas le matériel sur moi, il me disait : “Ah bon, vous ne l’avez pas amené ? C’est dommage, ça nous change vraiment, c’est drôlement bien !”

Ce patient dont je parle, il est atteint de la maladie de Charcot. C’est une paralysie progressive et qui évolue très vite. Il était prisonnier de tout son corps mais avait encore une mobilité relative des membres supérieurs. La réalité virtuelle le faisait s’échapper, se défouler. Comme il avait encore la motricité de ses membres supérieurs, je lui faisait faire par exemple des jeux de boxe. Sur ce type de jeu je voyais qu’il sortait un peu sa hargne, en oubliant son fauteuil, et grâce au casque.

Quels progrès avez-vous constaté chez d’autres patients ?

Il y en a beaucoup mais je pense tout de suite à une patiente en particulier. Une dame avec une dégénérescence cérébrale majeure. Elle ne reconnaissait plus personne et avait une mobilité très restreinte. Mon champ d’action l’était tout autant. Je ne pouvais lui faire que des mobilisations classiques pour entretenir l’état de ses membres inférieurs et supérieurs.

Puis cette dame-là, j’ai décidé de l’emmener faire des petits voyages. Avec le casque sur la tête, je lui lançais des sessions voyages (à la mer, à la montagne, etc.). Un jour, alors que sa fille était également présente, j’ai emmené sa maman dans une ferme pédagogique virtuelle. Elle s’est mise à tourner la tête dans tous les sens. Elle cherchait activement les animaux cachés dans la ferme…alors qu’elle n’avait normalement plus de rotation de la tête. 

En fin de séance, cette dame a même embrassé sa fille. Chose qu’elle n’avait pas faite depuis… très longtemps. Voilà. Quand on a posé le casque, on était en larmes toutes les deux. C’était un mouvement extrêmement émouvant et que je n’oublierai jamais. 

On pense que ça a réveillé en elle une émotion, un souvenir. On réalise, comme là en faisant les jeux voyages, que ça peut en fait réveiller quelque chose de très intime chez la personne et la faire réagir. Je pense que même chez les gens qui ont une dégénérescence ou qui font preuve d’une sénilité avancée et tout, la réalité virtuelle peut être intéressante à essayer.

Avez-vous aussi constaté des effets positifs contre la kinésiophobie, notamment chez les enfants ?

Alors là, les enfants, c’est indiscutable. C’est-à-dire que le jour où vous leur dites «aujourd’hui, on va travailler un petit moins classiquement” et que vous leur mettez le casque sur la tête, ils sont les plus heureux du monde. 

La kinésiophobie, c’est quelque chose qui est très intéressant à combattre avec la VR. On arrive à capter le patient et il oublie son handicap ou son souci. Dans le cadre de la thérapie miroir avec des personnes hémiplégiques par exemple, ça fonctionne très bien.

Je pense à un gamin qui avait souffert d’une paralysie de plexus braquial à la naissance. Il gardait des séquelles de cette paralysie et une rééducation était nécessaire pour le mobiliser. Systématiquement, il fallait qu’on fasse un petit peu de renforcement, un petit peu de contre-résistance,… des choses vraiment bien spécifiques en analytique et qu’il n’appréciait pas particulièrement. D’ailleurs, quand j’ai pris ma retraite, il m’a offert un cactus ! Magnifique, mais un cactus quand même ! Son message était en toute subtilité ! (rires). 

Faire jouer les enfants ça permet d’avaler la longueur et le répétitif des séances de kiné. C’est un outil formidable pour eux. En sortant les gamins disaient “je vais dire à mes copains que j’ai fait de la réalité virtuelle chez le kiné” et c’est génial.

À l’inverse, H’ability vous a-t-il permis d’aider des patients âgés dans le maintien de leur autonomie ?

Ah oui, oui. Je pense à un patient, un petit peu moins de 80 ans, dont le médecin avait prescrit du renforcement. Ce monsieur était devenu dépressif suite à la perte de son épouse. Il avait perdu en équilibre et présentait un risque important de chute. En complément des méthodes traditionnelles nous avons pu améliorer son équilibre et la lutte contre la prévention des chutes avec des jeux.

Je pense à des exercices comme le foot où celui où il faut attraper des étoiles. À partir du moment où vous faites jouer quelqu’un, attraper des choses en hauteur,… pour des personnes de 80 ans et plus c’est parfois des gestes qu’ils n’osent plus faire où seulement avec une canne, de peur de tomber. 

Alors que dans ce contexte, c’est un cadre rassurant où ils peuvent faire n’importe quel geste, ils se savent en sécurité sous l’œil bienveillant du praticien. 

Aujourd’hui à la retraite, quel souvenir vous reste en tête ?

C’est difficile. Ils sont multiples. Mais je garderai vraiment la reconnaissance des patients qui est permanente. On m’a tellement dit merci. À l’approche de mon dernier jour d’activité, je n’ai cessé d’être pourrie gâtée. J’ai été gâtée en fleurs, en chocolat, en livres et tout. Ma fille qui est passée un soir au cabinet a vu les boîtes de chocolat s’empiler et m’a même dit “le chocolatier a fait son chiffre d’affaires du mois avec toi !” (rires).

Vraiment, j’ai une reconnaissance énorme, énorme.

Et puis il y a eu tous ces patients dont j’ai parlé et d’autres encore qui m’ont énormément touché. Ce monsieur avec la maladie de charcot qui a posé son casque avec un grand sourire… c’est des souvenirs mémorables que je garderai toute ma vie.